Les impacts du coronavirus sur les entreprises françaises

Les impacts sur l’économie sont  nombreux:

Selon l’économiste Daniel Cohen, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, chaque mois de confinement pourrait coûter à l’économie française 3 points de croissance annuelle (1).

A la mi-mars 2020, l’effondrement des places boursières européennes permettait déjà d’anticiper un ralentissement généralisé de l’activité économique et la Commission européenne prévoyait une récession en Europe (baisse du PIB pendant 2 trimestres consécutifs au moins) tandis qu’aux USA les prévisionnistes annonçaient une baisse probable d’un quart du PIB au second trimestre.

L’OCDE invite les Etats à agir à la fois pour renforcer leurs dispositifs sanitaires et pour dynamiser leur activité économique en soutenant la demande par une politique budgétaire et fiscale volontariste. (2)

Le 18 mars, la Banque Centrale Européenne (BCE) a lancé un plan de sauvetage massif de 750 milliards d’euros, (ce qui porte la capacité d’achat de titres pour les 10 mois à venir à 1050 milliards d’euros compte tenu des programmes précédemment annoncés). Cela signifie qu’elle peut à chaque fois que nécessaire racheter des titres au cours de l’année 2020, obligations d’Etats ou titres d’entreprises afin de mettre un terme à toute spéculation qui mettrait en danger le financement d’un Etat européen ou l’équilibre financier et l’indépendance d’une entreprise européenne. Les taux d’emprunt devraient ainsi rester supportables pour les Etats et les entreprises européens.

En France, le ministre de l’économie, Bruno Lemaire, a déclaré qu’il allait aider les entreprises afin de leur permettre de supporter les conséquences du ralentissement de leurs ventes. Les entreprises pourront ainsi, sans justification et sans subir de pénalités, reporter le paiement des cotisations et impôts dus au mois de mars. Par ailleurs un élargissement des conditions de recours au chômage partiel par les entreprises est décidé et un système similaire au chômage partiel est mis en place pour les personnes employées à domicile (ménage, aide à la personne, etc..). Un fonds de soutien aux TPE, entrepreneurs, indépendants et artisans qui subissent une baisse de 70% de leur chiffre d’affaires depuis un an, doit permettre le versement d’une aide forfaitaire de 1500€.

Par toutes ces mesures, il s’agit de maintenir les emplois et les compétences dans l’attente de la reprise. Cela permet également un maintien de la demande de consommation afin de satisfaire les besoins essentiels de la population.

On peut aujourd’hui distinguer différents aspects de l’impact de cette épidémie sur les entreprises françaises :

Du coté de l’offre de produits :

– D’une façon générale, les mesures de confinement décidées en France à la mi-mars (et dans de nombreux pays européens) vont ralentir voire stopper les activités de production dans de nombreuses entreprises françaises, avec les risques que cela fait peser sur l’emploi et les savoir-faire des entreprises concernées.

Sur les entreprises industrielles produisant en Chine ou achetant des produits semi-finis et des modules intégrables dans leurs produit principal, la perturbation est d’autant plus forte qu’elles n’ont pas toujours de solution de rechange.
On cite notamment les secteurs des composants électroniques, machines, bases de médicaments (principes actifs), fibres optiques.…L’atelier du monde ne fonctionne plus ou fonctionne au ralenti. Il faut rappeler que Wuhan est le plus important nœud ferroviaire chinois. C’est aussi un pôle de développement de l’électronique mondiale et celui du secteur auto en Chine. C’est également la « vallée optique » où est produit le quart des fibres optiques du monde.  

Les entreprises françaises de la pharmacie, ont, quant à elles, à s’attendre à des difficultés d’approvisionnement en principes actifs dans la mesure où la segmentation internationale de la production a abouti à ce que 60 à 80% des principes actifs (qui sont à la base de la fabrication) soient produits en Chine ou en Inde. Les problèmes de pénurie de certains médicaments pourraient donc s’aggraver, notamment dans le contexte de la pandémie.
Par ailleurs, des perspectives de besoins nouveaux en vaccination et de traitements contre le coronavirus apparaissent, d’où des investissements importants liés à la mise au point de vaccins et de médicaments, à développer en France,  en coopération avec l’institut Pasteur.

– Sur les importateurs de produits finis, fabriqués en Chine, la perturbation est forte lorsque l’essentiel de l’activité est lié à ces importations. C’est le cas dans de nombreux secteurs: Jouets, matériel électronique, informatique, téléphonie, pharmacie, etc..

Dans l’automobile, la production locale de pièces et de modules produits par les constructeurs et leurs sous-traitants est soit arrêtée soit ralentie en Chine, ce qui perturbe les chaines logistiques des différents producteurs du monde entier. De nombreuses usines de fabrication du secteur automobile pourraient donc voir leur activité ralentie dans l’ensemble du monde.

Du coté de la demande de produits:

De façon générale, les mesures de confinement décidées en France (comme dans de nombreux pays européens) vont ralentir fortement la consommation, à l’exception des consommations alimentaires et pharmaceutiques. Seul le commerce en ligne pourra tirer son épingle du jeu à condition que les approvisionnements puissent suivre.

–  Pour les entreprises du secteur automobile installées en Chine, le ralentissement important du marché chinois, qui est aujourd’hui le 1er marché automobile mondial, entraîne une baisse de ventes. Mais le ralentissement de l’activité concerne progressivement l’ensemble du marché mondial automobile du fait des mesures de confinement décidées dans de nombreux pays et de la réduction généralisée des déplacements privés ainsi que des activités de production elles-mêmes.

Dans le transport, la baisse se fait sentir de plus en plus. Dans le transport aérien d’abord, la baisse d’activité est importante et va s’aggraver avec la diffusion du virus à l’échelle internationale. Les vols vers les pays contaminés sont progressivement suspendus de février à avril 2020. Les transports de marchandises et de passagers sont concernés. Au début d’avril 2020 Air France, par exemple, ne maintenait que 5% des vols qui avaient été initialement programmés. Les compagnies aériennes vont donc subir une baisse de chiffre d’affaires très importante. Cette baisse va vraisemblablement se répercuter sur la demande d’avions elle-même ce qui impactera toute la filière aéronautique. On va assister également à une baisse de la demande de transport ferroviaire. Dans l’automobile, les déplacements étant très réduits, la demande de véhicules est au point mort.

Dans le tourisme l’impact est important également avec une baisse notable des ventes de croisières (en réservations ou par annulations). Les voyages et séjours touristiques à travers le monde sont suspendus. Cela impacte notamment le secteur de l’hôtellerie (Accor indique que 200 de ses hôtels installés en Chine sont inactifs à la fin février). Mais le confinement impacte également très fortement le secteur de la restauration.

Les entreprises de vins et spiritueux doivent fortement réduire leurs prévisions de vente dans la mesure ou les boites de nuit, les bars et les restaurants sont fermés ou fonctionnent au ralenti dans un grand nombre de pays infectés.

– Pour les entreprises du luxe on constate une forte baisse de la consommation de produits exportés, destinés à la nouvelle classe moyenne chinoise qui constitue aujourd’hui un marché important de ces entreprises; Les boutiques de luxe installées en Chine doivent fermer ou ne fonctionnent qu’en horaires restreints.

-La baisse d’activité observée dans un grand nombre de secteurs a elle-même pour conséquence une réduction de la demande de matières premières et produits de base : pétrole, gaz et métaux industriels, dont les cours sont orientés à la baisse.

Le ministère de l’économie décide à la mi-mars le report de la réforme de l’indemnisation du chômage et l’élargissement des conditions de recours au chômage partiel. Un système similaire au chômage partiel est mis en place pour les personnes employées à domicile (ménage, aide à la personne, etc..). Les Etats français et néerlandais ont accordé à Air France KLM des garanties de prêts et des éventuels apports en capital sont envisagés à moyen terme.

On constate ainsi que la diffusion du coronavirus aura des conséquences au niveau de l’économie mondiale toute entière. Au-delà de ces conséquences en termes de chiffre d’affaires et de taux de croissance, elle fait prendre conscience aux dirigeants des entreprises du monde entier de la fragilité des chaines logistiques globales (3), conçues à l’échelle mondiale et basées sur un principe de segmentation internationale.
Cette prise de conscience devrait faire préférer désormais des chaines de production construites à l’échelle régionale, plus près des marchés auxquels elles sont destinées.
L’exemple de l’ETI Axyntis qui se développe avec succès dans la chimie fine avec la production de principes actifs de pharmacie montre qu’une relocalisation des éléments clés de nos filières industrielles est possible.

Comment les entreprises peuvent-elles réagir ?

Selon Daniel Cohen la politique actuelle devrait être de maintenir l’économie en « état d’hibernation »(1). Cette conception semble relativement théorique car il est difficile de demander aux entreprises de suspendre leur activité très longtemps. Tourner au ralenti pendant quelques semaines reste possible à condition qu’un accompagnement financier et administratif soit mis en place, comme c’est le cas actuellement. Mais mettre toute activité durablement entre parenthèse est irréaliste car il faut préserver les réseaux de clientèle et de partenaires économiques en les pratiquant à travers la continuation d’échanges et de projets, quitte à en modifier la nature pour préparer le rebond qui ne manquera pas avec la sortie du confinement.

Le président du MEDEF, G. Roux de Bézieux, recommande d’ailleurs aux chefs d’entreprise d’assurer la continuité des activités (4) dans tous les domaines où cela est possible, pendant la période de confinement. C’est en effet la condition sine qua non d’un approvisionnement possible des différents marchés des produits de consommation indispensables. Aussi recommande-t-il à tous ceux qui ne sont pas concernés par la fermeture des lieux d’accueil du public et qui ne peuvent pas exercer leur activité en télétravaillant, d’organiser leur activité de production sur les lieux de travail tout en assurant la sécurité sanitaire de chacun, par le respect des gestes barrières et des mesures de distanciation en étroite collaboration avec les CSE (voir aussi l’article de ce blog: Vers une reprise de l’activité des entreprises ?).

Il recommande également dans les relations inter-entreprises un assouplissement des délais de paiement et une suspension des intérêts de retard afin de préserver les savoir-faire, les outils industriels et les emplois des différents partenaires.

Voir aussi l’article : Un nécessaire recentrage régional de l’activité des entreprises

(1) Interview de Daniel Cohen, in Le Monde du 2/04/2020

(2)Perspectives intermédiaires de l’OCDE du 2 mars 2020.

(3) La notion de chaine logistique globale (supply chain) est présentée p 417 et 418 in Management et économie des entreprises, G. BRESSY et C. KONKUYT , 12ième édition, SIREY 2018.

(4) Institut de l’entreprise.fr « A nous, entreprises de faire preuve d’un esprit collectif », La quotidienne des entreprises en action. 24/03/2020

Auteur : GB

Voir aussi l'Aide-mémoire "Management et économie des entreprises" 12ième édition 2018 SIREY (Groupe DALLOZ)

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